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Déclaration d’IHRDA, CIHRS sur les réserves faites par l’Egypte à l’égard de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples

By avril 30, 2011mai 17th, 2012No Comments

49ème Session Ordinaire de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, 28 avril-12 mai 2011

Institute for Human and Development in Africa (IHRDA) et Cairo Institute for Human Rights Studies (CIHRS)

Déclaration sur les réserves faites par l’Egypte à l’égard de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples

L’Institute for Human Rights and Development in Africa (IHRDA) en collaboration avec Cairo Institute for Human Rights Studies (CIHRS) voudraient applaudir le peuple d’Egypte pour la démarche inspiratrice qu’il a prise pour l’avènement  d’une ère de démocratie et de justice. Le courage et la ferme adhésion aux principes de justice et de la non violence ont inspiré et continuent d’inspirer les efforts visant à faire respecter les droits humains en Afrique.

La révolution pacifique et les changements tant constitutionnels que législatifs offrent un nouvel espoir pour le respect des droits humains en Egypte. C’est dans ce contexte que nous rappelons que l’Egypte  est l’un des deux pays qui ont émis des réserves en ratifiant la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Les réserves faites par l’Egypte sont au nombre de trois et elles concernent la protection de la liberté de conscience, l’élimination des discriminations à l’encontre des femmes et des enfants ainsi que le droit de recevoir l’information.[1]

La réserve sur l’article 9(1) de la Charte africaine garantissant le droit  des individus de recevoir l’information énonce- « l’Egypte interprétera ce paragraphe comme étant applicable seulement à l’information dont l’obtention est autorisée par les lois et textes égyptiens ».

La Commission africaine a été ferme en décriant l’assujettissement des standards  régionaux des droits de l’homme aux lois nationales restrictives qui ôtent les droits protégés. Ceci est particulièrement important dans le contexte actuel de transition en Egypte. Il est nécessaire que les populations accèdent aux informations sur les décennies d’injustices et   obtiennent la vérité sur les pratiques de corruption, les cas de tortures et des disparitions forcées. Pendant plusieurs années, des milliers d’Egyptiens ont été victimes des violations flagrantes des droits humains par les agents de sécurité, particulièrement de la part des redoutables State Security Apparatus et n’ont pas eu accès aux informations relatives à leur cas jusqu’aujourd’hui. La meilleure façon de résoudre ce problème est de mettre sur pied une commission d’enquête indépendante pour accorder à ces personnes leur droit d’accéder à la vérité ainsi qu’à la justice tant attendue. C’est en effet à travers la mise à jour de la vérité que les éléments indispensables de la justice transitionnelle tels que les réparations et la justice peuvent être atteints.

Durant le précédent régime, des interférences dans le travail des journaux et des journalistes, l’emprisonnent des bloggeurs, les attaques contre les manifestants et l’enlèvement des activistes des droits humains faisaient partie des actes violant le droit du peuple égyptien à recevoir librement l’information. Ces actes incluaient l’arrestation et l’emprisonnement de plusieurs bloggeurs tels que Karim Amer, Moussad AbuFajr et Hany Nazeer.  Il est aussi important de noter  que l’arrestation de ces bloggeurs et de centaines d’autres citoyens a été rendu possible par la loi sur l’Etat d’urgence- qui est en vigueur jusqu’aujourd’hui- ainsi que plusieurs autres lois répressives qui limitent les droits humains.

Pendant la révolution, le gouvernement égyptien a interrompu les communications téléphoniques et internet dans tout le pays. Cet acte ne constitue pas seulement une violation des droits que garantie l’article 9(1) mais a aussi  aggravé la situation sécuritaire et humanitaire, étant donné que plusieurs cas de décès et d’assassinats se sont produits par manque de moyens de communications. Il y a eu en outre, des violations en masse contre les journalistes et les personnes cherchant  à relayer les informations sur la révolte.

La révolution égyptienne de 2011 ensemble avec celle de la Tunisie ont montré l’importance des médias sociaux sur l’internet qui ont permis à des millions d’égyptiens ainsi qu’au reste du monde, de recevoir les informations relatives à la lutte des Egyptiens pour la démocratie et les droits humains. Ceci atteste le rôle central que joue le droit à l’information dans le respect des droits humains et de la Charte africaine elle-même.

Même après la révolution, il est important de noter que les égyptiens ont vécu d’autres empiètements au droit à la liberté d’expression et au droit à l’information. Le cas du bloggeur Mikhail Sanad constitue un exemple palpable  de la persistance de l’application des lois répressives. Sanad a été arrêté le 28 mars 2011 et condamné le 10 avril 2011 à trois ans d’emprisonnement par une cour militaire pour avoir exprimé ses opinions au sujet du Conseil suprême des forces armées qui dirige actuellement le pays.

La Commission africaine s’est elle-même clairement prononcé au sujet du droit à l’information et contre les attaques à l’encontre des journalistes et autres défenseurs des droits de l’homme pour des opinions pourtant conformes aux législations en vigueur[2] sous le prétexte de la protection de la sécurité nationale.[3] Ce droit a non seulement fait l’objet de soft law[4] mais a aussi été consacré par la jurisprudence dans au moins dix communications dans lesquelles la Commission africaine a affirmé que l’article 9 (1) a été violé.[5]

Nous exprimons aussi notre préoccupation au sujet des réserves sur l’article 8 et 18 (3). Le respect de la liberté de conscience (article 8) est essentiel pour la stabilité et le maintien des droits humains dans les sociétés multiculturelles telles que l’Egypte. Prenant en compte les tensions intercommunautaires soulevées  par cette question, particulièrement au sujet de la révision constitutionnelle et le statut de l’article 2 de la Constitution égyptienne, nous conseillons la prudence et appelons les parties concernées ainsi que les autres acteurs à ne pas se laisser emporter par des sentiments inflammatoires et à maintenir la paix sur la base de l’égalité et de la non discrimination. Aussi, l’article 18 (3) est l’unique disposition à faire référence aux femmes et aux enfants dans la Charte africaine.[6]

Recommandations

En cette ère de changement constitutionnel et politique, il est en effet important que l’Egypte retire les réserves qu’il a faites à la Charte africaine comme un signe d’engagement du peuple à vivre dans une société ouverte et démocratique qui respecte les droits humains.

Nous encourageons donc Madame la Rapporteure Spéciale sur la liberté d’expression ainsi que les autres mécanismes appropriés de la Commission africaine à échanger avec le gouvernement égyptien dans le but de parvenir au retrait de ces réserves dans un délai raisonnable, conformément à la demande non équivoque des millions d’Egyptiens.


[1] L’Egypte a aussi fait des réserves en ratifiant la Charte africaine sur les droits et le bien être de l’enfant. Ces réserves énoncent que l’Egypte : ne se considère pas lié par les articles 21 (2) portant sur le mariage précoce et la promesse en mariage des jeunes filles et garçons, l’article 24 relatif à l’adoption (même si cette réserve est entrain d’être revue et une réserve similaire sur la Convention sur les droits de l’enfant des Nations Unies a été retirée), article 30 (a-e) concernant le traitement spécial devant être accordé aux enfants dont les mères sont emprisonnées, article 44 qui donne mandat au Comité d’experts de recevoir les communications ; et l’article 45(1) concernant la possibilité pour le Comité de mener des enquêtes dans les Etats parties. www.acerwc.org

[2] 313/05 Kenneth Good/Botswana, Para 122, http://caselaw.ihrda.org/fr/doc/313.05/view/

[3] 313/05 Kenneth Good/Botswana, Para 123, http://caselaw.ihrda.org/fr/doc/313.05/view/

[4] Dans sa Déclaration de principes sur la liberté d ‘expression en Afrique, la Commission africaine affirme “l’importance fondamentale de la liberté d’expression et d’information comme étant un droit humain individuel, une expression du fondement de la démocratie et un moyen de garantir le respect de tous les droits de l’homme et des libertés fondamentales”. Une position réaffirmée dans 228/99 Law Offices of Ghazi Suleiman / Soudan, Para 40, http://caselaw.ihrda.org/fr/doc/228.99/view/

[5] 313/05 Kenneth Good / Botswana; 373/06 INTERIGHTS, IHRDA, et AMDH / Mauritanie; 294/04 ZLHR et IHRDA (au nom de Andrew Barclay Meldrum) / Zimbabwe; 297/05 Scanlen & Holderness / Zimbabwe; 228/99 Law Offices of Ghazi Suleiman / Sudan; 147/95-149/96 Sir Dawda K. Jawara / Gambie ; 209/97 Africa Legal Aid / Gambie; 140/94-141/94-145/95 Constitutional Rights Project, Civil Liberties Organisation and Media Rights Agenda / Nigéria; 105/93-128/94-130/94-152/96 Media Rights Agenda, Constitutional Rights Project, Media Rights Agenda et Constitutional Rights Project / Nigéria; 212/98 Amnesty International / Zambie. http://caselaw.ihrda.org/instrument/achpr.9.1/ consulté le 29 avril 2011.

[6] La Commission africaine s’est prononcé sur l’article 18 (3), particulièrement sur le droit des femmes dans une seule communication 227/99 République démocratique du Congo/ Burundi, Rwanda et Ouganda.