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Honorable Président et Commissaires de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, Honorables délégué(e)s d’Etats, collègues de la société civile,

C’est avec un profond sentiment d’urgence et inquiétude que je prends la parole pour évoquer le conflit qui se poursuit et s’intensifie au Soudan, une tragédie qui met gravement en péril les droits de l’homme les plus fondamentaux de millions de civils. Alors que nous sommes réunis ici aujourd’hui dans le cadre du mandat de la Commission pour protéger et promouvoir les droits de l’homme et des peuples à travers le continent, nous devons faire face à l’impact dévastateur de ce conflit sur le peuple soudanais, dont les droits sont gravement violés à une échelle qui choque la conscience.

Le conflit au Soudan a déclenché une catastrophe humanitaire d’une ampleur stupéfiante. Les civils, dont beaucoup sont déjà vulnérables, sont les plus touchés par cette violence. Ils sont confrontés à des attaques aveugles, à des déplacements massifs, à la destruction de leurs moyens de subsistance et à la privation de services essentiels. Les violations suivantes, qui comptent parmi les plus flagrantes, méritent l’attention immédiate de la Commission :

  1. Déplacements à grande échelle

Le conflit a contraint des millions de Soudanais à quitter leurs foyers, les forçant à se réfugier dans des camps de déplacés internes ou à franchir les frontières pour se réfugier dans les pays voisins. Selon des rapports récents, plus de 9 millions de personnes – 7,3 millions à l’intérieur du pays et environ 2 millions dans les pays voisins – ont été déplacées depuis le début des hostilités. Ces personnes déplacées à l’intérieur du pays et ces réfugiés vivent souvent dans des conditions désastreuses, sans abri, sans nourriture ni soins de santé adéquats. Ces déplacements massifs constituent non seulement une violation de leur droit de circulation et de résidence, mais aggravent également leur vulnérabilité face à d’autres abus, notamment la violence sexuelle, l’exploitation et la traite des êtres humains.

  1. La famine comme arme de guerre

La famine délibérée des populations civiles, par le blocage de l’aide humanitaire, la destruction des récoltes et le ciblage des approvisionnements alimentaires, est devenue une caractéristique tragique de ce conflit. Ces actes constituent des violations du droit humanitaire international, en particulier de l’interdiction d’utiliser la famine comme arme de guerre. Des milliers de personnes sont aujourd’hui au bord de la famine et les enfants, en particulier, sont confrontés à une malnutrition aiguë, leur droit à l’alimentation, à la santé et à la survie étant gravement compromis. Les Nations unies signalent qu’environ 18 millions de personnes souffrent d’insécurité alimentaire aiguë et que 5 millions d’entre elles sont menacées de famine.

  1. Ciblage des civils et attaques massives

Les civils sont régulièrement pris dans les fusillades et les acteurs étatiques et non étatiques se seraient livrés à des attaques massives, y compris des bombardements aériens et des tirs dans des zones peuplées. Le ciblage d’écoles, d’hôpitaux et de marchés, institutions protégées par le droit international, est devenu une tendance inquiétante. Ces actes violent non seulement le droit à la vie, mais aussi les droits à la santé, à l’éducation et à la sécurité de la personne.

  1. Violence basée sur le genre

Les femmes et les filles sont touchées de manière disproportionnée par ce conflit, la violence sexuelle étant utilisée comme tactique de guerre. L’absence d’obligation de rendre des comptes pour des crimes aussi odieux continue à encourager les auteurs de ces actes. Les survivants sont stigmatisés et ne bénéficient d’aucun soutien adéquat, ce qui aggrave les conséquences psychologiques et physiques à long terme.

5. Refus d’accès à l’aide humanitaire    

Les organisations humanitaires sont confrontées à de graves restrictions pour atteindre les populations dans le besoin, étant souvent elles-mêmes prises pour cible ou empêchées de fournir une aide vitale. Ce refus d’accès aggrave les souffrances des civils et les prive de services essentiels tels que les soins médicaux, la nourriture, l’eau et les équipements sanitaires.

  1. Recul des réformes relatives à la liberté de religion

Le conflit en cours a réduit à néant les progrès révolutionnaires réalisés par le gouvernement de transition en 2019 en ce qui concerne la liberté de religion, car il a intensifié les tensions religieuses et aggravé la violence à l’égard des femmes et des filles. Nous sommes profondément préoccupés par l’escalade de la discrimination et de la violence à l’encontre des minorités religieuses depuis le début du conflit armé en 2023. Ces abus comprennent les exécutions extrajudiciaires, les détentions illégales, les bombardements systématiques, les déplacements forcés, le recrutement des enfants, les violences sexuelles et les actes de vandalisme. Les femmes appartenant à des minorités religieuses sont particulièrement exposées au viol, au mariage forcé et à la violence domestique.

Les restrictions sévères imposées par l’État à la liberté religieuse se sont aggravées, les attaques contre les lieux de culte se sont multipliées, en particulier pendant le conflit, où l’on a assisté à des attaques et à la destruction de lieux de culte de toutes les religions, en particulier des églises. En conséquence, les minorités religieuses n’ont pas pu assister aux cultes, aux réunions ou à d’autres rassemblements, ce qui a gravement limité leur capacité à exercer librement leur droit à la liberté de religion. Cette situation est également aggravée par le refus d’accorder des permis pour la construction de lieux de culte, comme l’a observé le rapport de la commission américaine de 2023 sur la liberté de religion ou de croyance au Soudan. La destruction et la confiscation des églises constituent une violation flagrante du droit à la propriété, garanti par l’article 14 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, qui affirme que le droit à la propriété est inviolable. Les arrestations arbitraires fondées sur les croyances religieuses aggravent encore ces violations. Bien que le gouvernement de transition ait fait quelques efforts pour remédier l’expropriation des propriétés des églises, aucune indemnisation ou protection substantielle ne s’est concrétisée. L’absence d’espaces sûrs et accessibles pour la pratique religieuse n’empêche pas seulement d’exprimer ses convictions religieuses, mais aggrave aussi la vulnérabilité des minorités religieuses dans une situation déjà précaire.

Monsieur le Président, ces violations ne sont pas des incidents isolés ; elles s’inscrivent dans un contexte plus large d’impunité qui frappe le Soudan depuis des années. Malgré les nombreux appels internationaux et les efforts diplomatiques, la situation continue de se détériorer. Cette Commission a le devoir moral et légal d’agir de manière décisive et urgente.

Nous appelons la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples à :

1. Condamner avec la plus grande fermeté les atrocités en cours et les violations massives des droits de l’homme au Soudan.

2. Exhorter l’Union africaine et les organismes régionaux à intensifier leurs efforts de médiation en vue d’un cessez-le-feu et à assurer la protection des civils.

  1. S’intéresser de près à la mission d’enquête indépendante composée de trois membres qui a été créée par le Conseil des droits de l’homme en octobre de l’année dernière, en vue de collaborer et d’utiliser ses conclusions dans le plaidoyer et la responsabilisation.

4. Exiger que tous les auteurs de violations des droits de l’homme répondent de leurs actes par les voies juridiques appropriées, y compris la Cour pénale internationale et les juridictions nationales.

5. Lancer un appel pour que les organisations humanitaires puissent accéder sans restriction aux zones touchées par les conflits afin d’apporter une aide immédiate aux populations qui souffrent.

6. Continuer d’appeler à la solidarité avec le peuple soudanais afin de ne pas oublier un seul jour les crises humanitaires qui se déroulent dans ce pays.

7. Exhorter le gouvernement à réaffirmer son engagement en faveur de la liberté de religion ou de croyance et de culte, comme le reconnaît la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, tout en s’abstenant de toute discrimination fondée sur la religion, en renforçant les protections juridiques qui protègent les droits de toutes les communautés religieuses au Soudan, et en veillant en particulier à ce que la réforme juridique protège les non-musulmans et les femmes, et à ce que les auteurs de violations de ce droit soient tenus de rendre des comptes.

Monsieur le Président, la situation au Soudan est une grande horreur pour l’humanité collective et requiert une attention urgente. Les civils soudanais – femmes, enfants et hommes – ne peuvent pas attendre. Leur dignité et leur humanité sont bafouées quotidiennement et il nous incombe à tous, en tant que gardiens des droits de l’homme, de nous opposer fermement à ces atrocités.

Ne parlons pas seulement au nom du peuple soudanais, mais agissons en son nom, en veillant à ce que la justice, la responsabilité et la paix prévalent.

Je vous remercie de votre attention.