Banjul, le 26 octobre 2018:
Madame la Présidente et honorables commissaires de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples,
Distingués Représentants des États africains,
L’Institut des droits de l’homme et du développement en Afrique tient à féliciter la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples pour le travail remarquable qu’elle a accompli dans la promotion et la protection des droits de l’homme au cours des 31 dernières années depuis sa création. A plusieurs reprises, la Commission a été le dernier espoir des individus et peuples d’Afrique dont les droits ont été bafoués par de puissants acteurs étatiques et non étatiques.
Dans la réalisation de son mandat de protection et d’interprétation au fil des années, la Commission a eu à faire de nombreuses interprétations progressistes de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et a créé une jurisprudence africaine en matière de droits de l’homme dont nous sommes fiers. Malgré de nombreux défis auxquels elle a été confrontée dans la réalisation de ses fonctions, la Commission a été en mesure de prendre des décisions sur des communications qui lui sont présentées sans crainte ni favoritisme.
Cependant, nous sommes préoccupés par la décision 1015 du Conseil exécutif de l’Union africaine, rendue en juin 2018, en raison de son impact sur les travaux de la Commission.
Cette décision souligne que «l’indépendance dont jouit la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples n’est que de nature fonctionnelle et non une indépendance des mêmes organes qui l’ont créée». Nous estimons qu’il s’agit là d’une compréhension erronée du droit international, compte tenu du fait que la Commission n’a pas été créée par les organes de l’Union africaine mais par un traité: la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. En plus, la Charte garantit l’indépendance institutionnelle, fonctionnelle et personnelle de la Commission et de ses commissaires. Pour pouvoir s’acquitter efficacement de ses tâches, la Commission doit librement travailler sans ingérence des organes politiques de l’Union africaine.
La décision du Conseil exécutif a également soulevé l’attention face à « la tendance de la Commission africaine d’agir comme organe d’appel, sapant ainsi les systèmes juridiques nationaux ». Cette partie de la décision ne correspond pas à la manière dont la Commission examine les communications qui lui sont présentées. L’article 56 de la Charte africaine énonce les conditions de recevabilité, notamment l’épuisement des recours au niveau national. La Commission, dans le cadre de ses fonctions, ne s’interpose pas comme organe d’appel pour les décisions des juridictions nationales, mais plutôt d’organe quasi judiciaire servant à protéger les droits que les États n’ont pas protégés en vertu de la Charte.
Nous sommes également préoccupés par l’ordre donné par le Conseil exécutif à la Commission de revoir ses critères d’octroi du statut d’observateur aux ONG et de retirer l’accréditation de la « Coalition of African Lesbians » (CAL). Nous sommes scandalisés par le fait que la Commission ait déjà commencé à s’y conformer en retirant le statut d’observateur de la CAL.
À cette fin, nous condamnons la décision du Conseil exécutif de l’Union africaine comme étant erronée et comme une incompréhension du droit international.
Nous appelons aux États Membres de l’Union africaine à garantir l’indépendance totale de la Commission contre toute ingérence dans son travail de la part des organes politiques de l’Union africaine.
Nous exhortons également la Commission africaine à défendre son indépendance et à définir une stratégie claire pour répondre à la décision 1015 sans crainte ni favoritisme.
Notre Commission africaine des droits de l’homme et des peuples doit être indépendante.
Je vous remercie.