(Banjul, Gambie, 4 août 2017) – La Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples a établi la responsabilité du Gouvernement de la République Démocratique du Congo dans le massacre de plus de 70 personnes à Kilwa dans le sud-est du pays en 2004, et exige qu’une indemnité historique de 2,5 millions de dollars américains soit versée aux victimes et leurs familles, a martelé aujourd’hui les trois groupes de défense des droits humains qui ont initié la plainte.
Anvil Mining, une société minière australo-canadienne, qui a exploité une mine de cuivre et d’argent à Dikulushi, à 50 kilomètres de Kilwa, a fait l’objet d’une réprimande publique à cause de son rôle dans les violations, qui a consisté à fournir un soutien logistique aux soldats qui ont bombardé sans discernement des civils, exécuté sommairement au moins 28 personnes et éliminé beaucoup d’autres après qu’un petit groupe de rebelles légèrement armés a essayé de prendre le contrôle de la ville. La commission exhorte le Gouvernement congolais à lancer une nouvelle enquête criminelle et « prendre toutes les mesures diligentes à l’effet de la poursuite et de la sanction des agents de l’État et le personnel de la Société Anvil Mining impliqués dans les violations constatées. »
La plainte pour le compte de 8 victimes a été déposée en novembre 2010 à la Commission Africaine par RAID (Rights and Accountability in Development), ACIDH (Action Contre l’Impunité pour les Droits Humains) et IHRDA (Institute for HumanRights and Development in Africa) basés respectivement au Royaume-Uni, en RDC et à Banjul, en Gambie. La Commission a communiqué sa décision aux parties en français le mois dernier.
« La décision de la commission est une victoire extraordinaire pour les victimes de Kilwa qui ont longtemps demandé que justice soit faite pour ce qu’elles ont enduré à cause des soldats du Gouvernement et du personnel d’Anvil Mining complice de l’armée », a déclaré Anneke Van Woudenberg, directrice exécutive de RAID. « Le Gouvernement congolais devrait exécuter pleinement la décision, indemniser les victimes et leur adresser des excuses comme le recommande la Commission Africaine. »
Cette décision sans précédent de la Commission constate la violation par le Gouvernement congolais de neuf dispositions de la Charte Africaine, y compris les exécutions extrajudiciaires, la torture, les arrestations arbitraires, les disparitions et les déplacements forcés entre autres. La Commission accorde aux 8 victimes mentionnées dans la plainte 2,5 millions de dollars américains de dommages-intérêts, le montant le plus élevé dans l’histoire de cette institution. Elle exhorte le Gouvernement congolais à identifier et à indemniser les autres victimes et leurs familles qui ne sont pas parties à la plainte et qui ont aussi été directement touchées par l’attaque.
La Commission a déclaré que le Gouvernement congolais devrait présenter officiellement des excuses aux habitants de Kilwa, exhumer et réinhumer avec dignité les corps ensevelis dans une fosse commune, construire un mémorial, fournir une assistance pyscho- sociale aux personnes touchées par le traumatisme, reconstruire l’école, l’hôpital et les autres infrastructures détruites lors de l’attaque.
Elle demande au Gouvernement congolais de rapporter par écrit à la Commission dans les 180 jours (ou, au plus tard, le 17 décembre 2017) sur la suite réservée à ses recommandations quant à leur mise en œuvre.
« Par cette décision, la Commission Africaine crée un nouveau précédent dont les effets se feront longtemps sentir », a déclaré Gaye Sowe, Directeur de l’IHRDA. « Cette décision permet non seulement d’indemniser le dommage direct des victimes, mais aussi de reconnaître les besoins de la plus grande communauté de Kilwa, si terriblement affectée par le massacre. »
Cette décision découle d’une bataille juridique de 13 ans engagée pour la justice par les victimes et leurs familles, qui n’ont toujours vu aucun soldat ou un employé de la société minière traduit en justice. La Commission constate que les hauts fonctionnaires congolais ont entravé la procédure judiciaire en RDC et n’ont pas assuré aux victimes une justice impartiale et indépendante.
La Commission a été particulièrement rigoureuse au sujet du procès militaire ayant eu lieu en RDC en 2006, qui a acquitté trois membres du personnel d’Anvil Mining ainsi que le colonel Ademar llunga, le commandant en charge des soldats à Kilwa. Dans son verdict, le tribunal militaire congolais a cherché à justifier les abus des soldats sous prétexte que les habitants de Kilwa appuyaient les rebelles.
« Outre le fait qu’une telle hypothèse est matériellement invraisemblable, rien ne justifie les bombardements généralisés et l’exécution hors les procédures judiciaires de nombreuses personnes civiles, y compris des femmes et enfants », déclare la Commission dans sa décision. Elle ajoute : « Vu le caractère flagrant et internationalement public des faits, il était vraisemblablement erroné de conclure que toutes les populations civiles étaient parties au conflit et qu’il n’y avait aucun cas d’exécution sommaire. »
Anvil Mining a commencé à exploiter la mine de Dikulushi en 2002. Elle a évacué plusieurs membres de son personnel de la mine suite au soulèvement mineur à Kilwa et fourni un avion et des véhicules pour transporter environ 150 soldats à Kilwa.
En 2010, la mine Dikulushi a été vendue à Mawson West, une petite société minière australienne. En janvier 2015, Mawson West a arrêté la production industrielle à Dikulushi, déclarant que la mine n’était plus économiquement viable.
La Commission Africaine est un organe quasi-judiciaire de l’Union Africaine chargée de promouvoir et de protéger les droits de l’homme en interprétant la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples et en statuant sur des plaintes individuelles. Ses décisions ne sont pas formellement contraignantes.
« Le Gouvernement congolais ne doit pas fermer les yeux sur les conclusions relatives aux droits de l’homme de ses pairs africains, » a déclaré Donat Ben-Bellah, directeur exécutif de l’ACIDH. « La Commission a signifié au Gouvernement congolais qu’il doit s’attaquer aux crimes à Kilwa et, enfin, traduire en justice les soldats et le personnel d’Anvil Mining qui les a aidés. »
Citations de deux victimes représentées dans la plainte à la Commission Africaine:
Dickay Kikumbi Kunda, dont le père, Pierre Kunda Musopelo, chef de la police de Kilwa, a été arbitrairement arrêté par les soldats, détenu au secret pendant trois mois et torturé :
« La famille Kunda se félicite de la décision de la Commission Africaine qui a finalement reconnu que mon père avait été torturé et obligé de passer ses jours dans la pauvreté et la douleur après sa libération de la détention arbitraire. »
Adèle Mwayuma Faray, qui a perdu deux de ses fils à Kilwa, qui sont supposés avoir été sommairement exécutés par les soldats:
« Comme d’autres familles des disparus, nous avons souffert encore plus parce qu’on nous a refusé le droit de donner à nos fils un véritable enterrement selon les coutumes du peuple Bemba. Le dédommagement ne peut pas les ramener, mais il nous aidera, moi et ma famille, à reconstruire nos vies. Nous sommes profondément reconnaissants envers la Commission Africaine pour cette décision pour notre cause. »