45eme Session De La Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, 13-27 mai, Banjul, Gambie
Declaration de l’Institute for Human Rights and Development in Africa sur les violations massives et sérieuses du droit au logement et à un abri:
L’Institute for Human Rights and Development in Africa (IHRDA) note avec inquiétude les affrontements armés qui se sont produits la semaine dernière entre les forces gouvernementales et des mouvements rebelles à l’Est du Tchad. De tels affrontements sont de nature à contribuer à la détérioration de la situation des droits humains en général au Tchad. Plus spécifiquement, elles pourraient avoir des répercussions négatives sur la situation déjà critique des droits économiques, sociaux et culturels dans le pays.
Dans ce contexte, l’IHRDA voudrait porter à l’attention de la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (la Commission africaine) les violations massives et sérieuses du droit au logement et à un abri à N’djamena, la capitale du Tchad. Celles-ci sont le résultat d’une campagne d’évictions forcées en masse.
De février 2008 à nos jours, plus de 30.000 personnes ont été évincées de force de leurs habitations à N’djamena et des milliers d’autres familles vivent sous le coup de menaces d’évictions. Après la tentative du coup d’Etat du 02 février 2008, un décret présidentiel[1] avait ordonné la destruction des habitations à Gardolé et Walia, deux quartiers de N’djamena.
Ce décret présidentiel faisait implicitement valoir que les endroits de Walia et Gardolé où les populations allaient être évincées étaient des domaines de l’Etat alors que certaines victimes possédaient des titres de propriété valides. Les compensations qui leur ont été accordées n’étaient pas équitables et ne reflétaient pas dans la plupart des cas, la valeur des biens perdus.
D’autres quartiers non spécifiés dans le décret étaient tombés par la suite sous le coup de ces évictions dont certains cas s’étaient produits même avant février 2008. Dès avril 2008, 1. 798 habitations dans 11 différents quartiers ont été déjà démolies. Mis à part les victimes des deux quartiers spécifiés dans le décret, presque toutes les autres victimes n’avaient pas reçu de notifications formelles d’évictions. De plus, les évictions étaient accompagnées de traitements inhumains et dégradants envers les victimes qui tentaient désespérément de récupérer certains de leurs effets. Même si le gouvernement tchadien affirme que ces évictions s’inscrivent dans le cadre d’un projet d’urbanisation, les victimes affirment que certains cas spécifiques d’évictions avaient des motivations politiques.
Une injonction de justice demandant le sursis à exécution des évictions dans le quartier Repos I (îlot 41 et 42)[2] a été simplement ignorée et les plaignants évincés de leurs maisons. De même, des réparations ordonnées par la Cour d’appel de N’djamena[3] sont restées à ce jour inexécutées.
Aujourd’hui, les milliers de familles qui ont été jetées à la rue par ces évictions forcées vivent dans une situation extrêmement déplorable. Le gouvernement tchadien pour sa part, n’affiche aucune volonté réelle d’indemniser les victimes ou de respecter les décisions judiciaires.
La Commission Africaine a affirmé dans la Communication 155/96 Social and Economic Rights Action Centre (SERAC) and Center for Economic and Social Rights (CESR) v Nigeria que :
La violation particulière du gouvernement nigérian du droit à un logement adéquat, tel que protégé implicitement par la Charte africaine, comprend également le droit à la protection contre les expulsions forcées… Partout où cela se passe et lorsque cela se passe, les expulsions forcées sont extrêmement traumatisantes. Elles causent des détresses physiques, psychologiques et émotionnelles; elles provoquent des pertes de moyens de subsistance économiques et accroissent la pauvreté.[4]
Les séries d’évictions décrites ci-haut constituent une violation flagrante de la Charte Africaine ainsi que la Constitution tchadienne de 1996 dont les articles 12, 17, 19, 37, 41, et 43 protègent le droit à la sécurité, au bien être familial, et le droit à la propriété privée. De même, les évictions décriées violent les différentes lois de 1964 portant régime foncier au Tchad.
De tout ce qui précède, l’IHRDA prie la CADHP d’exhorter le gouvernement de la République du Tchad à :
- Cesser immédiatement les évictions forcées contre les populations de N’djamena et suspendre tout projet d’exécuter d’autres évictions dans le futur ;
- Respecter les lois de 1964 régissant le foncier au Tchad ;
- Respecter les injonctions et décisions des juridictions tchadiennes ordonnant des compensations en faveur des victimes des évictions ;
- Avoir à l’esprit la décision de la Commission africaine 74/92 Commission nationale des droits de l’homme et libertés/Tchad à travers laquelle celle-ci affirmait que les circonstances exceptionnelles telles que l’Etat d’urgence, ne peuvent pas constituer une justification pour les violations des droits de l’homme ;
- Adopter des mesures législatives tel que requises par l’article 1 de la Charte Africaine pour déclarer contraire à la loi les évictions forcées. Ces mesures législatives devront aussi établir des directives pour toute éviction absolument nécessaire et inévitable. De telles directives devront être en conformité avec la Charte africaine, le Pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels ainsi qu’avec ‘les principes de base et directives sur les évictions et déplacement liées au développement’ adoptés par le Conseil des droits de l’homme de Nations Unies en 2007.